Franck Gechter : Travail et passion « augmentées »

Coté cour – Quand la science rejoint la fiction

Franck Gechter est un chercheur spécialisé dans l’intelligence artificielle. À l’UTBM, où il a posé ses « valises » en 2004, il planche sur l’IA appliquée à l’énergie et aux véhicules, sur des réseaux intelligents et des véhicules ou groupes de véhicules voués à devenir « autonomes », donc sans intervention humaine. Fasciné par la réalité virtuelle et augmentée, que l’on retrouve dans ses passions, c’est aussi ce sur quoi il fait notamment travailler ses étudiants.

Ce qui l’intéresse ? L’interaction homme-machine. Et « comment on peut rendre intelligents des capteurs », confie cet enseignant-chercheur spécialisé sur l’intelligence artificielle. Toutes formes de capteurs, caméras, gyroscopes, GPS…, qui donnent des informations sur la géolocalisation, la vitesse, l’orientation d’un objet, son environnement, les obstacles…, informations ensuite traitées par des applications qui prennent des « décisions » pour cet objet, et permettent donc le contrôlé adapté, sans commande humaine, d’un véhicule, d’un groupe de véhicules, ou encore d’accompagner la rééducation d’un patient. Travaux sur lesquels Franck Gechter planche depuis son arrivée à l’UTBM en 2004.

Le parcours de ce chercheur est assez atypique, puisqu’il est initialement physicien et ingénieur. En 1999, après avoir suivi sa formation d’ingénieur à l’École nationale supérieure de physique de Strasbourg (ENSPS), il obtient à la fois ce diplôme, mais aussi un DEA (devenu master recherche) « Photonique et images, option traitement d’images », puisqu’il a suivi, en parallèle, également un cursus en physique fondamentale à Strasbourg. Il ne s’arrête pas là et poursuit en thèse, au laboratoire LORIA[1] de Nancy, thèse qu’il soutient en 2003, sur la fusion des capteurs, qui lui permet déjà de mêler ces deux centres d’intérêt : IA et physique[2].

« Ce qui m’intéresse, c’est la façon dont un système intelligent peut interagir avec l’humain alors qu’aujourd’hui c’est encore l’humain qui doit s’adapter à ces systèmes »

Pourquoi ce double cursus ? « Parce que j’aime bien toutes les sciences », aime-t-il répondre. À l’UTBM, il intègre le laboratoire IRTES-SeT (Institut de recherche sur les transports, l’énergie et la société), en tant que maître de conférences, laboratoire qui rassemble aujourd’hui une dizaine de chercheurs, ingénieurs et doctorants. Ce n’est pas un hasard, explique-t-il, « le projet de recherche y était intéressant. Parce qu’il proposait à la fois un travail dans le domaine de la perception, donc l’optique, et sur l’IA. Le mélange des deux est assez rare. Soit on travaille sur la conception de capteurs, soit sur l’analyse des données collectées. »

Du véhicule intelligent à la réalité augmentée dans le spectacle vivant

À l’UTBM, il peut donc démarrer d’entrée de jeu sur les véhicules. Mais la voiture intelligente n’est pas son seul terrain de jeu, loin de là, puisque ce qui l’intéresse globalement, c’est la façon dont un « système intelligent peut interagir avec l’humain alors qu’aujourd’hui c’est encore l’humain qui doit s’adapter à ces systèmes ». Donc travailler sur l’autonomie d’un seul véhicule, comme sur les systèmes intelligents qui vont permettre les circulations en convoi sans liens « mécaniques », ou encore de rendre particulièrement efficients les réseaux électriques (dits Smart Grids)[3], d’accompagner les thérapies dans le domaine médical, voire même de contribuer à une performance artistique ! Franck Gechter a d’ailleurs collaboré avec Michele Cremaschi (http://michelecremaschi.it/) pour introduire de la réalité augmentée dans l’un de ses spectacles, en y associant ses étudiants qui travaillé sur les objets à « incruster » (vidéos, objets 3D, etc.) et sur l’interfaçage qui devait permettre de réaliser ce spectacle.

Parmi les projets notables auquel le chercheur a collaboré, figure par exemple le projet CRISTAL (Cellule de recherche industrielle en systèmes de transports automatisés légers), mené avec Lohr Industrie et qui vise à déployer des navettes permettant de construire un système de transport public de taille modulable. L’idée ? Faire en sorte que des petites navettes, dites « briques de mobilité », puissent s’assembler et circuler en se suivant, sans attaches mécaniques, donc grâce à des systèmes intelligents… Autre idée, que des petits véhicules électriques, qui pourraient remplacer par exemple des 18 tonnes qui circulent en ville, puissent « s’accrocher » par exemple à des bus selon le même principe, pour livrer la marchandise. Une bonne manière « de libérer les centres villes des camions, donc de limiter la pollution et d’améliorer la fluidité du trafic », commente le chercheur. « La réflexion porte en même temps sur l’efficience des services. Outre réduire par exemple la taille des espaces de stockage des commerces situés à l’intérieur de la ville [puisque l’on pourrait ainsi également augmenter la fréquence des livraisons, NDLR], on pourrait également envisager d’utiliser ce même service pour les livraisons à domicile. Derrière ce premier projet, il y a toute une logique intéressante à mettre en place. » Même type de travail avec la DGA[4] sur le projet SafePlatoon, sauf qu’il s’agit de travailler sur des convois qui avancent en échelons, donc en décalé ou encore en ligne côte à côte, en intégrant l’idée d’un « leader » et que celui-ci puisse changer de véhicule en cours de route.

Du coup, les partenariats qu’il développe sont très variés : avec la DGA et l’Institut Pascal à Clermont-Ferrand pour les recherches sur des trains de véhicules, avec des médecins sur des applications médicales, avec la NASA[5], ce qui lui a d’ailleurs permis de collaborer avec des scientifiques tels que Brian Gore, avec le LORIA de Nancy, avec le laboratoire DRIVE[6] de l’université de Bourgogne… Et, depuis 2012, il est aussi membre de la Fédération de laboratoires sur la pile à combustible (FCLAB).

Le virtuel au service d’objectifs très concrets et utiles à la société

L’un des partenariats dont il est le plus fier est celui qu’il vient de lancer avec le ICT (Institute of Creative Technology) de l’université de Californie du Sud (USC) basée à Los Angeles, dans le domaine du médical, sur la réalité augmentée/virtuelle au service de la rééducation fonctionnelle post-traumatique, notamment chez des personnes ayant subi des AVC. Objectif étant de voir comme la thérapie, le travail sur la resynchronisation et les muscles des bras, des jambes…, peut être contrôlée et améliorée en donnant au patient la possibilité de le faire en totale immersion dans un monde virtuel. Un travail qui l’a amené d’ailleurs à travailler avec le psychologue Albert Rizzo.

Cette proximité avec des scientifiques qui travaillent dans les domaines des sciences sociales, notamment la psychologie, pour prendre en compte les besoins ou encore travailler sur l’acceptabilité de ces nouvelles technologies, est tout autant indispensable sur des projets portant sur l’IA que le travail mené sur les solutions technologiques. Car l’IA ne peut se dispenser aujourd’hui de « connaître » l’humain, ses codes, ses réactions… pour se développer au service de ce dernier. C’est ainsi qu’il est amené à collaborer avec ses collègues de l’équipe RECITS[7] ou encore avec Marie-Françoise Lacassagne, la directrice du laboratoire laboratoire Psy-DREPI (Laboratoire de Psychologie – Dynamiques relationnelles et processus identitaires) de l’université de Bourgogne. Et l’acceptabilité de ces systèmes constitue par ailleurs une condition importante pour réussir leur mise en œuvre. « ça ne sert à rien de faire des véhicules autonomes si personne ne les accepte », analyse le chercheur. Celui-ci se souvient d’ailleurs en riant d’un récent trajet en convoi auquel il a participé. « Quand on est à un mètre du véhicule précédent et qu’on n’a pas le contrôle, à 25 km /heure, on n’est pas forcément rassuré ! », s’amuse-t-il. « Ce sont des aspects humains que l’on doit donc mettre au cœur de nos travaux car finalement, car, finalement, conduire un véhicule autonome, cela s’apprend ! »

Ces travaux soulèvent aussi des problèmes qui relèvent des sciences humaines et sociales : des questions juridiques – qui aura la responsabilité en cas d’accident par exemple ? -, ou encore des problématiques économiques puisque, observe encore Franck Gechter, « actuellement, un véhicule de ce type coûte pas moins de 400 000 euros. Il y a toutes les chances d’ailleurs, au moins au départ, que le lancement de ces usages se fassent au travers d’un système de location de service. »

« Profiler » les utilisateurs de smartphone

Autre collaboration marquante pour ce chercheur, celle qu’il a pu mener en 2015-2016 avec l’université de Cambridge, et qui l’a amené à collaborer sur place en tant que professeur invité en 2016, autour de l’analyse de données que cette université avait collectées via un partenariat avec Google. L’objectif était de faire du « profiling », c’est-à-dire de connaître l’influence des comportements utilisateurs, par l’intermédiaire des événements générés au niveau du smartphone (modifications de luminosité, envois, nombre de caractères par messages, etc.) sur la consommation énergétique. Sachant que ces connaissances seraient bien utiles, ensuite, pour proposer des mobiles adaptés à chacun.

Résultat de ces multiples collaborations, le chercheur produit beaucoup. À 42 ans, il totalise déjà 100 publications, dont 19 dans des revues internationales avec comité de lecture et 52 dans des conférences internationales avec comité de lecture, des ouvrages collectifs ou encore au titre d’ouvrages individuels. Il a aussi reçu, avec Jean-Michel Contet en 2008, la médaille d’argent du concours YEAR (Young European Arena of Research), été nominé aux Mechatronic Awards[8] en 2012 dans le cadre du projet Safeplatoon et deux de ses étudiantes ont décroché le prix de la fondation UTBM 2017 dans le cadre du projet pédagogique Teach Me a Story, qui vise à étudier les apports de la réalité augmentée sur des séquences pédagogiques pour lesquelles des élèves d’écoles, collèges et lycées, rencontrent des difficultés d’acquisition de compétences.

La salle de réalité virtuelle, annexe du foyer des étudiants

Ses étudiants prennent d’ailleurs beaucoup de plaisir sur les projets sur lesquels il les amène. « Ils s’amusent et la salle de réalité virtuelle et augmentée [installée sur le site de Belfort, NDLR] est presque devenue une annexe du foyer ! », plaisante l’enseignant. Il est vrai qu’apprendre avec des outils de ce type est plutôt ludique, tout comme apprendre à créer ces mondes virtuels qui vont servir l’industrie, l’éducation, le médical… Un étudiant planche ainsi, dans le cadre de son projet de fin d’étude, sur le développement d’une application utilisant un assistant personnel pour le suivi médical de pathologies lourdes à domicile. Un autre projet avait également porté sur le développement d’une simulation virtuelle de fitness et un autre sur un simulateur en réalité virtuelle de caisse à savon pour leurs homologues du département EDIM[9]. L’enseignant-chercheur retire aussi beaucoup de cette partie dédiée à l’enseignement, car, si les découvertes en recherche alimentent les cours, « les questions des étudiants interrogent également les recherches », observe-t-il.

Prochain projet intra-muros ? L’ouverture d’une nouvelle UV interdisciplinaire, « Humain et monde virtuel », dès ce mois de février avec son collègue Mathieu Triclot, philosophe des techniques. Objectif, à la fois étudier comment utiliser la réalité virtuelle/augmentée dans le cadre des UV d’enseignement tout en préparant les étudiants à « l’utilisation de cet outil dans un cadre interdisciplinaire, en intégrant les implications de son utilisation des points de vue pédagogique, philosophique, sociologique, ethnologique, économique… » Les étudiants seront donc amenés à réfléchir à des applications possibles de la réalité virtuelle/augmentée et à réaliser à ces fins des « démonstrateurs ». Il paraît qu’ils se bousculent déjà pour l’UV…

Côté jardin – Le rock « augmenté »

Des passions ? Je suis musicien et je joue principalement de la guitare. Je suis tombé dedans à l’adolescence, à 16 ans. Une crise d’ado ! La première année était frustrante et c’est d’ailleurs généralement à ce moment là qu’on arrête. Mais comme j’ai tendance à être têtu, j’ai continué. J’aime surtout le rock progressif et musclé ! J’aime des morceaux que l’on peut relier aux mathématiques, complexes à jouer (rires). J’adore d’ailleurs Franck Zappa. Et, autre lien avec mes centres d’intérêts professionnels, j’aime modifier mes instruments, adjoindre un appareil électronique pour rajouter des effets par exemple.

« J’aime des morceaux que l’on peut relier aux mathématiques, complexes à jouer »

Comment se traduit cette passion ? Je joue tous les jours. Chacun sa façon de se détendre… Et j’aime composer aussi. Je joue des morceaux de Tool par exemple mais pas tous. Car quand on décortique beaucoup les morceaux que l’on aime, on perd aussi la magie. Et je me produis, dans la région, en Suisse…, mais je ne cours pas forcément après le public. 

D’autres centres d’intérêt ? J’aime aussi la batterie mais ça n’est pas pratique d’en faire dans mon salon (rires) ! J’en ai joué davantage pour me défouler, puisque, contrairement à la guitare, je n’ai pas pris de cours. Sinon, je suis ouvert à tout ce qui est artistique, mais là en tant que spectateur. J’aime le cinéma et je suis passionné de science fiction, notamment des livres de Philip K. Dick qui a écrit Ubik et The Minority Report. Ce qui fait aussi le lien avec mon travail qui aborde la relation entre le réel et le virtuel. Lien que l’on retrouve dans Blade Runner ou encore Total Recall. J’aime aussi la peinture, celle de Dali ou de Turner notamment.

[1]   . Laboratoire lorrain de recherche en informatique et ses applications
[2]   – Doctorat en Informatique « Modèle Multi-Agent Réactif Pour La Fusion De Percepts Application à La Localisation Et Au Suivi En Robotique Mobile », Université Henri Poincaré Nancy 1, LORIA/INRIA
[3]   . Réseaux de distribution qui favorisent la circulation d’information entre les fournisseurs et les consommateurs afin d’ajuster le flux d’électricité en temps réel et permettre une gestion plus efficace du réseau
[4]   . Direction générale de l’armement
[5]   . Et travaillant à l’Ames Research Center (Human Systems Integration Division)
[6]   . Département de recherche en ingénierie des véhicules pour l’environnement
[7]   . Recherches et études sur le changement industriel, technologique et sociétal
[8]   . Qui récompensent les meilleures innovations mécatronique et robotique de l’année
[9]   . Ergonomie design et ingénierie mécanique

Crédits

Un article de : Camille Pons
Crédits photos : Etienne Kopp
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