Côté cour – Moins dure sera la chute
La protection du corps, c’est ce qui fait marcher ses neurones au quotidien. Michèle Bodo observe, sur un mannequin numérique et à partir de données tirées d’expérimentations, l’impact de chutes ou de balles sur le corps humain. Les coups qu’elle porte chaque jour à ce dernier pourraient, à terme, contribuer à la conception de systèmes de protections plus efficaces. En dehors de son laboratoire, elle les transforme en coups de pieds au sol, histoire de respirer un peu.
Au départ, cette doctorante originaire de Bangui, en République centrafricaine, voulait faire médecine. Elle est ingénieure mais planche quand même en vue d’améliorer la prévention et la protection des personnes. Comment ? En utilisant des données tirées d’expérimentations pour simuler des impacts sur un mannequin virtuel en 3D, impacts de chutes notamment, et de balles, simulations qui lui permettent de mesurer les déformations provoquées par les coups et d’évaluer ensuite les vitesses, distances de tir qui peuvent être critiques. Objectif : valider des modèles, sachant que le mannequin est un mélange d’un homme et d’une femme, donc pas totalement représentatif de l’un ou de l’autre, qui pourraient permettre d’imaginer ensuite des protections plus efficaces pour le corps humain. C’est le cœur de ses travaux menés dans le cadre de sa thèse, entamée depuis maintenant presque trois ans au laboratoire ICB-COMM[1]. Travaux qui peuvent intéresser le secteur militaire, mais pas que.
Pourquoi ce choix ? « J’étais douée pour les sciences et j’aimais ça », explique la jeune femme. « J’ai donc décidé de suivre une formation d’ingénieur et j’ai choisi le réseau des universités de technologie car je ne voulais pas faire une prépa classique. Cela aurait été trop stressant. D’autant que je changeais de pays, de culture… » Michèle Bodo a en effet déposé ses « valises » à l’UTBM juste après avoir décroché son bac S, spécialité Sciences et vie de la terre, au lycée français Charles de Gaulle de Bangui, en 2009. Avec une mention bien, ce qui lui a valu l’octroi d’une bourse de l’AEFE[2] pour pouvoir venir faire ses études en France.
Intéressée par la mécanique et le fonctionnement du corps humain
Sa spécialité et sa filière, le génie et la modélisation mécaniques, elle les a ensuite choisies en tronc commun quand elle a découvert, dit-elle, « que la mécanique est la base de tout : de tous les mouvements, pour la construction des bâtiments, des automobiles… » Et ce qui l’intéressait surtout, c’était « l’aspect mathématique de la mécanique », d’où le travail sur la modélisation. Avec la dimension biomécanique, car, on l’a compris, la jeune femme de 25 ans était fortement intéressée par le fonctionnement du corps humain.
En entreprise, ce que l’on veut, c’est satisfaire le client. On ne peut aller au-delà des résultats attendus. Or, moi, je voulais aller au-delà, comprendre… »
Quant au choix d’intégrer un laboratoire, il s’est fait à la suite de son stage de fin d’études, effectué dans une entreprise industrielle de fabrication de moteurs électriques, chez CEB-Leroy Somer à Beaucourt[3], où elle a travaillé sur les problèmes d’équilibrage de rotors dans les moteurs. « En entreprise, ce que l’on veut, c’est satisfaire le client. On ne peut aller au-delà des résultats attendus. Or, moi, je voulais aller au-delà, comprendre… », raconte en souriant la doctorante qui se rappelle avoir été un « peu frustrée » par ces limites qui lui étaient imposées. Elle intègre donc, dès le mois d’octobre 2014, l’équipe de Sébastien Roth, enseignant-chercheur rencontré en dernière année de formation d’ingénieur à l’UTBM, équipe composée également d’un autre doctorant et d’un stagiaire (lire aussi « Les experts, Sevenans, saison 4 », https://detours.utbm.fr/2014/06/11/les-experts-sevenans-saison-4/).
Limiter les maladies professionnelles, concevoir des protections pour absorber les chocs…
Avant de s’attaquer au « buste », la doctorante a d’abord travaillé sur la préhension de la main durant un semestre, dans le cadre d’une initiation à la recherche encadrée par son directeur de thèse actuel et une autre chercheuse, Dominique Chamoret. « J’ai modélisé en 2D le pouce et l’index en vue de trouver le moyen de minimiser les efforts de contact entre les doigts, ce qui permettrait, à terme, de réduire les douleurs, soit en adaptant les objets, soit en adaptant la position des doigts », explique la doctorante. Un travail qui peut trouver des applications concrètes dans l’industrie par exemple, sur du travail à la chaîne répétitif, et pourrait contribuer à limiter les maladies professionnelles de type tendinite.
Aujourd’hui, ses travaux se concentrent sur la partie thoracique du corps humain. Ils ont d’abord porté sur les cas de chutes libres, c’est-à-dire des personnes tombées sans être poussées, depuis un arbre, en bricolant, etc. Celle-ci a ainsi développé des critères de prédiction des blessures, en s’appuyant sur des données validées pour des cas d’explosion, mais aussi sur des données d’accidentés recueillies auprès de l’hôpital de Belfort.
Elle s’est ensuite penchée sur les impacts de balles non pénétrantes (projectiles à létalité réduite, comme ceux utilisés pour les flash-ball, qui visent, normalement, non à tuer mais à neutraliser des individus, par exemple lors d’émeutes). Un travail d’autant plus « utile », précise la chercheuse, que ces projectiles, « très controversés, ont déjà fait des morts ». Son travail pourrait notamment servir « à définir les distances de tir pour ne pas engendrer de blessures mortelles, mais aussi à s’orienter vers d’autres types de matériaux que ceux utilisés actuellement pour concevoir ces projectiles, comme la mousse ou le caoutchouc ».
Un travail sur l’homme et au service de l’homme
Évidemment, on l’a dit, les applications possibles intéressent le secteur militaire. Mais pas que. Car en s’intéressant aux chutes libres, la doctorante pourrait aussi ouvrir des portes afin « d’imaginer des protections pour les personnes âgées, de type blouses ou gilets qui permettraient d’absorber les chocs » (lire aussi « Michèle Bodo et HUByx : l’amour vache », https://detours.utbm.fr/2016/05/26/michele-bodo-hubyx-lamour-vache/). Une dimension qui attire la jeune femme parce qu’elle n’est pas abordée en France, « où les expérimentations restent rares »[4]. Et qui l’a conduite d’ailleurs à utiliser des données tirées de la littérature américaine ou encore d’expériences menées en Belgique, à l’école Royale militaire. Même si, regrette la chercheuse, « dans la littérature, les cas rapportés ne contiennent pas toujours toutes les données pour reconstituer la chute. Par exemple, la localisation de l’impact n’est pas toujours présentée. »
L’équipe qu’elle forme avec Sébastien Roth travaille également le CEDREM (Centre expertise dynamique rapide explosion multiphysique), avec qui le modèle HUByx (Hermaphrodite universal biomechanics yx model) a d’ailleurs été développé, le fameux mannequin virtuel sur lequel sont testées les données.
Au-delà d’assouvir sa soif de « comprendre » et de plancher sur des sujets dont les enjeux peuvent être importants pour l’Homme, ce qu’aime Michèle Bodo dans ce travail, c’est « le travail sur l’homme – comprendre cette grosse machine complexe et en même temps imprévisible qu’est le corps humain – et au service de l’homme ». Et puis « les défis à relever ». Même si « ça n’est pas facile, surtout qu’une fois résolu, un problème en amène un autre », s’amuse-t-elle. Normalement, elle doit soutenir sa thèse fin septembre 2017. Objectifs ensuite : être enseignant-chercheur, « ici ou ailleurs » et « faire de l’expérimentation dans ce domaine là ».
Côté jardin – Au pas de course
Des passions ? La course à pied. Depuis le lycée. Je cours deux ou trois fois par semaine, quand je peux, et chaque fois entre 20 et 50 minutes, ce qui représente environ entre 4 et 8 km parcourus. J’aime notamment courir autour de l’étang des Forges, sur la Coulée Verte, au chronomètre ou sur de la distance. Mais là, entre ma thèse et les enseignements – cinq heures par semaine en ce moment -, je n’ai pas beaucoup de temps !
Qu’y trouvez-vous ? J’aime bien faire des choses toute seule. Et ça me détend, m’aide à me vider la tête. Et quand on court, on a de plus en plus besoin de courir. Cela devient comme une addiction. Je n’y suis pas encore addict mais il y a des moments où je le suis presque (rires).
J’aime bien faire des choses toute seule. Et ça me détend, m’aide à me vider la tête »
D’autres centres d’intérêt ? J’adore ramener des magnets et des boules à neige souvenirs de mes voyages. J’en ai ramenés de Chamonix, Annecy, Paris, Fontainebleau, Strasbourg, Rome, Barcelone, Amsterdam… J’aimerais bien avoir un mur, voire un jour une pièce complète, avec tous ces objets, y compris des petits tableaux et des porte-clés, où je pourrais voir tous les lieux où je suis passée. Ça permet de se souvenir. Pour l’instant, j’ai surtout bougé dans le coin. Mais j’ai eu la chance d’aller à Hangzhou, en Chine, en août dernier, pour présenter mes travaux sur les chutes à l’occasion d’une conférence de l’ICBEB (International conference on biomedical engineering and biotechnology). Ça a été l’occasion de joindre l’utile à l’agréable. J’ai aussi été récemment à Londres et je dois partir à Los Angeles cet été pour séjourner dans un laboratoire de biomécanique, avant de repartir à nouveau en Chine en octobre à Guangzhou pour une autre conférence. Et je m’investis aussi pour les autres doctorants et l’UTBM. Je suis trésorière de l’association DOCEO[5], élue au conseil académique de la Communauté d’universités et d’établissements Université Bourgogne Franche-Comté (COMUE UBFC), et au conseil scientifique de l’UTBM. Après sept ans, il faut quand même s’investir et donner son point de vue sur les décisions qui s’y prennent !
[1] . Laboratoire Interdisciplinaire Carnot de Bourgogne – Conception optimisation et modélisation en mécanique
[2] . Agence pour l’enseignement français à l’étranger
[3] . Sur le Territoire de Belfort
[4] . En France, seuls deux laboratoires se penchent actuellement sur la biomécanique : le LBMC à Lyon et l’IFSTTAR à Marseille
[5] . Association des doctorants et docteurs de l’UTBM, qui vise à rassembler les jeunes chercheurs de l’UTBM et aider à leur insertion professionnelle
Crédits
Un article de : Camille PonsCrédits photos : Samuel Carnovali