Côté cour – Style et technique : l’accord parfait
Designer industriel de formation et de métier, Marjorie Charrier est enseignant-chercheur en conception produits. Elle forme les étudiants, non pas au design, mais à l’ingénierie pensée avec le design et à dessein : c’est-à-dire à concevoir un produit qui soit à la fois fonctionnel mais aussi esthétique. L’enseignante ne manque donc pas de style : elle l’enseigne, en fait l’objet de ses recherches et le centre de ses loisirs.
Elle vient du privé et a été « débauchée » il y a quelques années pour contribuer au montage pédagogique du département EDIM (Ergonomie, design et ingénierie mécanique). Département qui fait de l’UTBM une formation d’ingénieur unique en France puisque cette dimension appliquée à l’ingénierie n’existe nulle part ailleurs dans l’Hexagone. Son expérience de designer industriel, éprouvée d’abord en agence puis en tant qu’indépendante, Marjorie Charrier la met aujourd’hui au service de l’UTBM. En cours mais aussi dans le cadre de la recherche, puisque, avant même de démarrer sa thèse de doctorat en septembre 2012, elle contribuait déjà aux travaux de l’équipe ERCOS dont elle dépend au sein du laboratoire IRTES-SeT.
Si de prime abord l’enseignement du design et, à plus forte raison, la recherche dans ce domaine pourraient paraître saugrenus ou artificiels en formation d’ingénieur, Marjorie Charrier n’a pas de mal à convaincre qu’il n’en est rien. Avec, en introduction, une précision de taille : « on ne forme pas ici des designers mais des ingénieurs qui sauront utiliser cette dimension pour concevoir des produits vraiment adaptés ». « La notion de design est très galvaudée », précise l’enseignante. « On croit que cela se limite au style. Or, il faut concevoir des produits [ou systèmes, NDLR] certes désirables, mais aussi techniquement fiables et viables d’un point de vue économique. Il faut donc vraiment tenir compte des utilisateurs. Et ne pas perdre de vue le fait que les modes et styles de vie bougent et qu’un produit pensé aujourd’hui sera peut-être sur le marché trois ans plus tard. Ce qui nécessite de faire aussi de la veille et de la prospective. » L’enseignement n’est donc pas fantaisiste, et cette « dimension artistique et poétique », comme aime à la qualifier Marjorie Charrier, complémentaire des dimensions technique et économique dont devront tenir compte beaucoup d’ingénieurs pour leurs futures missions.
Dis, Marjorie, dessine-moi un bel objet
Marjorie Charrier est passionnée par son job et sa spécialité. Qui est plurielle d’ailleurs, car au-delà du design produit celle-ci est aussi, entre autres, spécialisée dans le design graphique qui consiste à travailler davantage sur l’identité visuelle et l’image de marque. « Alors que le travail sur l’ergonomie est très concret, le design c’est toute une poésie et l’immersion dans un univers davantage lié aux modes de vie », s’enthousiasme la chercheuse. Son orientation a été choisie dès la 3e. Alors que le métier de designer n’était pas encore très connu et les formations plutôt rares. « Au départ, je voulais faire du stylisme et je dessinais d’ailleurs pour mes poupées », se souvient cette férue de dessin. « Mais en même temps j’ai toujours été matheuse et j’aimais le dessin industriel. Une conseillère d’orientation m’a parlé du métier de designer industriel qui permettait de combiner les deux. » Après avoir décroché sont bac S sciences de l’ingénieur, option sciences physiques-chimie, elle intègre donc une prépa à l’école supérieure privée des arts appliqués Pivaut de Nantes et rentre ensuite, en 1996, à l’école de design Nantes Atlantique, dont elle sort diplômée en 2001.
« La notion de design est très galvaudée. On croit que cela se limite au style. Or, il faut concevoir des produits certes désirables mais aussi techniquement fiables ! »
Le grand tournant vers l’enseignement et la recherche se fera en 2006, lorsqu’elle sera sollicitée par l’UTBM pour contribuer à monter les enseignements introduisant les dimensions de design et d’ergonomie appliquées à l’ingénierie mécanique. Tournant qui marque son retour, après un passage par le chef-lieu des Pays de la Loire puis par Lyon, dans sa région d’origine puisque Marjorie Charrier est native de Montbéliard.
Ce tournant, elle ne regrette pas. Car ce nouveau métier lui permet de continuer à concevoir, et avec des équipements de pointe puisque le département dispose notamment d’une plate-forme de réalité virtuelle qui permet de configurer et évaluer espaces et produits avant ébauche de maquettes physiques. Plate-forme qu’elle utilise avec les étudiants ou dans le cadre de ses recherches ou projets. Elle a ainsi notamment travaillé, en 2012, sur les projets d’aménagement de bureaux du site de la Jonxion, le parc d’innovation où est basée la gare TGV de Belfort-Montbéliard, ou encore sur un projet de mobilier et d’aménagement urbain pour le parc du Près-la-Rose à Montbéliard. Ce sont d’ailleurs ces phases de « réflexion », « où l’on pose les concepts », qu’elle dit préférer à nulles autres. « Chercher, analyser, réfléchir à de nouveaux concepts, est la phase la plus stimulante dans un projet. Et c’est ce qui m’a toujours attirée, même dans le cadre de projets personnels. »
Sensibilité au design stylistique et sensoriel associée au plaisir de concevoir « pour tous »
Les projets sur lesquels elle planche, en design produit, sa première spécialité, correspondent à ses « sensibilités ». Pas question de travailler exclusivement sur le style. Elle aime se pencher sur les usages et affectionne plancher sur des aménagements intérieurs pour le transport l’architecture, ou encore le mobilier. En s’attachant « à ses fonctions, ses couleurs et au design sensoriel, donc aux textures et aux matières… », ce qu’elle préfère dans son métier. Ce qui la « branche » aussi particulièrement, c’est « la conception pour les gens, et pour tous : les enfants, les seniors, la famille, le sport, le loisirs, etc. ». Ce qui l’amène à travailler aussi bien sur des projets pour faire découvrir les fonds marins aux enfants, des produits destinés à faciliter les déplacements dans la maison ou des gestes quotidiens pour des personnes en situation de handicap par exemple, comme prendre ses médicaments ou se brosser les dents.
Marjorie Charrier collabore d’ailleurs activement à l’unité de valeur « Conception pour tous », UV qui aborde la conception pour des publics nécessitant structures ou équipements adaptés (personnes en situation de handicap, personnes âgées, jeunes enfants, etc.) et qui permet de faire plancher les étudiants sur des projets menés en partenariat avec le centre de réadaptation fonctionnelle d’Héricourt, en Haute-Saône (lire l’article). Cette approche centrée sur les problématiques d’usages se retrouve dans deux autres modules d’enseignement dans lesquels elle intervient, « Design pour tous » et « Éco-design »*. « Dans ce dernier enseignement, la priorité est mise sur l’éco-conception, l’éthique et le social, que l’on retrouve aussi dans le design pour tous puisqu’il s’agit de travailler sur la conception centrée sur les utilisateurs », développe-t-elle. Qui est aussi l’objet de la recherche menée dans le cadre de son doctorat*.
« Mon métier est un métier de passion », poursuit-elle. « La créativité et le travail manuel font partie de ma vie depuis l’école maternelle. J’adore d’ailleurs l’aquarelle et je dessine aussi pour le plaisir, pas seulement pour le travail. » Si celle-ci avoue être « un peu débordée » depuis qu’elle a attaqué sa thèse, elle n’a pas pour autant prévu de lâcher le crayon, même à ses heures perdues. À 38 ans, son avenir, « pour l’instant » elle le « voit ici ». « Je suis exclusive, j’aime aller au bout de ce que je fais », explique-t-elle. « Là, j’ai encore des choses à faire et à apporter. Et je ne m’ennuie pas encore ! »
* Équipe d’ergonomie et de conception des systèmes
* Elle est aussi responsable de deux autres modules : Initiation au design industriel et Outils du design industriel
* « Ergonomie et design au service de la conception centrée utilisateurs »
Côté jardin – De fil en aiguille
Des passions ? Le dessin, depuis l’école maternelle ! C’est ma première passion et je voulais faire un métier où je pourrais dessiner. Avant, j’imaginais être styliste ou architecte. Mon père m’y a encouragée car lui-même voulait faire les Beaux-Arts et ses parents n’ont jamais voulu. C’est lui qui m’a transmis sa passion du dessin. Quand j’ai voulu être designer, c’était un peu comme partir à l’aventure mais mon père m’a aidé à concrétiser ce projet.
Une passion que vous faites vivre comment ? J’ai dessiné beaucoup, par exemple lorsque j’ai séjourné en Australie en 1999 dans le cadre d’un semestre d’études. Actuellement, je n’ai plus trop le temps durant mon temps libre, mais je dessine tout le temps au travail !
« Je suis exclusive. Quand j’ai quelque chose en tête, je ne m’arrête pas tant que je ne suis pas satisfaite »
D’autres centres d’intérêt ? En prépa, j’ai appris énormément de techniques de dessin, dont l’aquarelle qui me plaisait beaucoup. Je fais beaucoup de compositions personnelles pour des événements et pour ma fille. Pour qui j’assouvis aussi une autre passion, celle de la couture. Je lui fais ses justaucorps pour la gymnastique rythmique. Et elle m’en réclame un nouveau chaque année ! Ma grand-mère m’a aussi appris à tricoter. Je m’en sers surtout pour de la décoration : pour habiller des vases, des objets…
Que trouvez-vous dans ces activités ? Elles me permettent de me libérer l’esprit, de me vider la tête mais tout en restant avec un esprit créatif. Et je fais des choses un peu différentes de ce que je réalise au travail.
Vous y passez du temps ? Je suis exclusive. Quand j’ai quelque chose en tête, je ne m’arrête pas tant que je ne suis pas satisfaite. Je peux d’ailleurs recommencer plein de fois tant que ça ne correspond pas à ce que je veux : je monte, je démonte jusqu’à ce que… Avant, je pouvais en faire tous les soirs. Maintenant, j’en fais souvent pendant les vacances, après deux jours de repos. Mais c’est toujours par périodes. Il peut se passer des mois sans qu’il ne se passe rien !
One thought on “Marjorie Charrier : Une figure de style”