La gestion des connaissances est un domaine scientifique à part entière. Elle donne à une entreprise ou à une organisation les moyens de conserver et de mettre à profit les acquis de l’expérience qu’elle accumule à tous les niveaux au cours de son existence. Du classeur papier aux techniques les plus récentes de l’intelligence artificielle, comment évolue la discipline ?
Dans une entreprise, on trouve des machines et des équipements. On trouve aussi des personnes pour les faire fonctionner et les réparer, des mains et des intelligences pour mettre au point des plans, concevoir des méthodes, suggérer des façons de travailler et inventer des astuces de toutes sortes. « Tout un savoir-faire et un savoir-être inscrits dans les têtes, mais malheureusement trop rarement consignés de façon formelle pour être exploités ou transmis », rapporte Vincent Hilaire, directeur à la recherche de l’UTBM. Un patrimoine immatériel auquel s’intéresse la gestion des connaissances, un domaine qui a beaucoup évolué depuis son émergence dans les années 1960. Après les étapes qui se sont succédées pour répertorier ces connaissances puis identifier leurs détenteurs, la discipline passe à la vitesse supérieure avec leur organisation et leur structuration.
Psychologie et intelligence artificielle
Différents outils relevant de différentes disciplines scientifiques sont utilisés, selon les formes de connaissances qu’on vise à sauvegarder et exploiter. Certains savoirs sont tacites, se développent au fil du temps au point de devenir des évidences pour la personne qui les détient. Ce sont les gestes rendus plus efficaces à force d’expérience, qu’on effectue un jour naturellement sans penser qu’ils demanderont un véritable apprentissage à une autre personne ; c’est une ambiance de travail qui se révèle appréciée, mais dont on ne sait pas par quels rouages certaines personnalités ont su la créer… alors comment la reproduire ailleurs ou à d’autres moments ? Pour rendre plus concret ce savoir diffus, la gestion des connaissances s’appuie sur les sciences humaines et sociales, les ressorts de la psychologie, les techniques de management… « L’idée est pouvoir formaliser ce que les personnes ont exprimé par exemple lors d’interviews, puis de rendre collectif un savoir au départ souvent détenu par des individus », raconte Vincent Hilaire.
D’autres connaissances sont plus explicites, correspondent à des notions techniques consignées dans des plans de montage ou des notices d’utilisation. Malheureusement, les écrits font parfois défaut, soit qu’on n’ait pas pris la peine de les rédiger, soit qu’ils aient été perdus. Ainsi l’horlogerie mécanique en Suisse a souffert de la perte de savoir-faire emportés par les ouvriers licenciés lors de la crise qui a vu le secteur s’effondrer dans les années 1970 et les écoles horlogères mettre la clé sous la porte. Les structures de formation ré-ouvertes depuis tentent de reconstruire ce savoir et de le transmettre, parfois en faisant appel à la mémoire des anciens artisans. Même la NASA déplore la perte de schémas de fusées ou de films témoins de ce jour extraordinaire entre tous, où l’homme a fait ses premiers pas sur la Lune !
Donner sens aux connaissances
Dans ce domaine technique, on est passé dans le meilleur des cas du classeur papier où sont collectés les plans et les écrits, lorsqu’ils existent, à des sauvegardes numériques. Le fait que la gestion industrielle s’effectue aujourd’hui sur informatique facilite grandement la démarche… Mais dans le même temps, la vitesse exponentielle à laquelle s’échangent les données, la multiplication du nombre de sites de production, la mondialisation des échanges et des partenariats rendent plus difficile l’appropriation de l’information dans les organisations. Ce sont l’intelligence artificielle et ses formidables moyens qui permettent de mettre à profit ces connaissances, en les rendant exploitables par une machine. « Car il ne s’agit pas seulement d’engranger de l’information, il faut pouvoir la rendre disponible à la bonne personne et au bon moment », explique Vincent Hilaire. Rendre accessible l’information par l’utilisation de mots clés n’est plus satisfaisante, l’ingénierie des connaissances se montre plus exigeante avec le codage de l’information, qui reproduit une forme de raisonnement et permet d’effectuer un classement sous forme de concepts. Recourir aux outils sémantiques habituellement utilisés pour la gestion du big data s’avère très efficace, de même que les tris opérés par la technique des raisonnements à partir de cas. « L’intelligence artificielle copie les façons de faire des humains pour en tirer des modèles très précis de fonctionnement. Cela s’avère très utile dans la gestion des pratiques au quotidien. Et permet de dégager du temps pour l’innovation… »
La gestion des connaissances fait l’objet de recherches à l’UTBM depuis 2004, et donne lieu depuis à la rédaction de thèses, pour certaines financées en partenariat avec des entreprises. Ces recherches sont le fruit de la collaboration d’équipes de recherche en conception de produits (ICB/CO2M[1]), d’une part, et en intelligence artificielle, d’autre part (LE2I[2]).
[1] Laboratoire Interdisciplinaire Carnot de Bourgogne, Conception Optimisation et Modélisation en Mécanique
[2] Laboratoire d’Electronique Informatique et Image
Crédits
Un article de : Catherine TonduCrédits photos : UTBM / DR