Justine Lobbé est doctorante à l’UTBM. Sa thèse l’amène à observer les espaces de co-création que sont les Fablabs. Sa finalité ? Identifier les outils qui permettront de concevoir, non pas seulement pour mais avec ceux qui ont des besoins spécifiques, notamment les personnes souffrant de handicap ou dépendantes. Un sujet choisi « par envie » comme la filière EDIM, qui lui a permis d’intégrer sa passion à sa formation d’ingénieur : le dessin.
Côté cour – Dessine-moi de la mécanique pour tous
C’est en 2012 que Justine Lobbé a quitté sa Picardie d’origine pour rejoindre l’UTBM. Elle entre directement en branche, après deux ans de prépa maths suivis à Compiègne, juste après avoir décroché son bac S spécialité SVT au lycée Jean Calvin de Noyon. Le choix de l’UTBM n’est pas un hasard, car c’est le département EDIM1, tourné vers le design et l’ergonomie, qui l’a menée ici. Pour les enseignements dédiés à la « conception pour tous » et la dimension « créative », explique-telle, dimension qui lui permet de « laisser divaguer [s]on cerveau », s’amuse-t-elle.
Et parce qu’elle peut emmener dans « ses bagages » ses crayons qui la suivent partout. « Cela me permettait de regrouper deux centres d’intérêts, les sciences et cet aspect humain de la mécanique qui ne se résume pas qu’aux boulons et aux écrous », raconte-t-elle. « Et le dessin, ma passion depuis toujours ! »
La conception pour tous me permet de regrouper deux centres d’intérêts, les sciences et cet aspect humain de la mécanique qui ne se résume pas qu’aux boulons et aux écrous »
Sa thèse s’inscrit dans la même démarche qu’elle résume simplement : « fonctionner à l’envi ». Dès l’obtention de son diplôme en 2015, elle se lance, au sein de l’équipe ERCOS (Ergonomie et conception des systèmes) du laboratoire IRTES-SET2, sur une recherche assez originale puisqu’il s’agit d’observer, expérimenter et analyser la façon dont on peut intégrer notamment le handicap dans la conception de produits. Pas la notion de handicap ou les contraintes qui auraient pu être observées ou posées comme hypothèses de départ par des ingénieurs ou des techniciens, mais en intégrant des personnes en situation de handicap dès cette phase de conception et dans des lieux dédiés justement à la co-créativité, les Fablabs.
Concevoir avec l’utilisateur final
Pourquoi cet intérêt à travailler avec et pas seulement pour ce public spécifique ? « Parce que j’ai vu qu’on apprenait énormément au contact des gens », répond sans hésiter la doctorante. « Et ça ne me semble pas intéressant de rester juste entre ingénieurs, car l’apport de ces publics, parce qu’ils sont directement concernés, est très important ! Et je me suis rendue compte d’ailleurs que beaucoup venaient car ils avaient un besoin. Cela a donc du sens d’aller vers eux, de les associer car ils sont ‘experts’ de leur situation de vie. Et il est plus simple de faire remonter en amont les difficultés de ces personnes que l’inverse. Et de cette manière, le produit sera adapté au plus grand nombre. »
Quant aux Fablabs, ils lui semblent être des lieux tout indiqués pour observer comment pourraient se mettre en place une méthode et des outils de co-conception avec ce public. « Les Fablabs sont à la fois des lieux de conception mais aussi de partage et de pédagogie puisqu’on y apprend aux gens qui y viennent à utiliser des machines, des logiciels, des imprimantes 3D… Ils sont conseillés, accompagnés sur leurs projets… », explique la jeune femme.
Justine Lobbé n’en est qu’au tout début de son travail de recherche. « Une phase de découverte, afin de comprendre ce qui se fait en Fablab », résume-t-elle. Et qui s’inscrit dans la suite logique de son projet de fin d’études, durant lequel elle avait commencé à intégrer, durant 6 mois, cette idée de conception avec l’utilisateur final au 8Fablab, laboratoire de fabrication numérique situé à Crest, dans la Drôme. « Il s’agit de trouver des méthodes et outils qui permettraient d’intégrer ces personnes dans la conception », précise la doctorante. « Donc d’observer, de faire un état des lieux des outils, des situations, de l’environnement, des usages dans la conception des produits dans des lieux de co-créativité, où des gens expérimentent ensemble, afin de voir ce que l’on peut garder. J’avais commencé à faire des observations durant mon stage. Par exemple, un père avait conçu un interface pour sa petite fille dépendante qui ne parlait pas, afin qu’elle puisse lancer ses dessins animés toute seule. »
Fonctionner « à l’envi »
Justine Lobbé a aussi travaillé avec une association qui était en résidence au Fablab de Crest. Cette association y concevait, avec et pour des personnes en situation de handicap, des instruments de musique à bas coût. La résidence avait associé une dizaine d’ingénieurs, des mécaniciens, acousticiens, électroniciens…, ainsi que des ergothérapeutes et des éducateurs. Le public handicapé avait ensuite pu jouer avec ces instruments dans le cadre d’un festival. Aujourd’hui, ces professionnels sont aussi au cœur de l’enquête menée par la doctorante, auprès de qui ils partagent leur expérience.
Si aujourd’hui, Justine Lobbé aime dire que ce travail lui « plaît énormément », il n’est pas sûr pour autant qu’elle poursuive dans la recherche une fois qu’elle aura décroché son doctorat. « Trois ans c’est loin », s’amuse la jeune femme de 24 ans. « Je ferai peut-être autre chose car je fonctionne plutôt à l’envi. Et d’ici là, j’aurai peut-être trouvé 10 000 autres choses à faire ! Car j’aime la recherche, mais j’aime aussi le boulot d’ingénieur, la pédagogie… J’irai là où le projet me plaît. » Dans tous les cas, comme dans le cadre de sa thèse, cette dernière garde surtout « l’idée de travailler ensemble ». « C’est ce qui me plaît, car on peut tous apprendre les uns des autres ! »
1- Ergonomie, design et ingénierie mécanique
2- Institut de recherche sur les transports l’énergie et la société – Systèmes et Transports
Côté jardin – Le bon coup de crayon
Des passions ? Le dessin. J’aime gribouiller depuis toujours ! Et je suis arrivée à l’UTBM parce que je pouvais justement associer la dimension d’ingénieur à ce plaisir du gribouillage. Quand j’étais petite, on m’a dit « le dessin ce n’est suffisant pour en faire un métier ». Du coup j’ai associé un « vrai » métier, celui d’ingénieur, à ce qui n’est pas un métier !
Que vous apporte cette activité ? Le dessin, c’est vraiment l’activité qui me permet de déconnecter. J’aime croquer ce qui me fait rire notamment.
Quand quelque chose me plaît, je me pose et je dessine. »
Quel type de dessin faites-vous ? Pas des portraits. Plutôt des moments et des paysages que je trouve beaux notamment. Je dessine à chaque fois qu’un crayon me tombe sous la main et je me balade toujours avec un carnet. Je fais à l’envi, comme pour mes études. Et quand quelque chose me plaît, je me pose et je dessine. Dans le train aussi, quand je rentre en Picardie voir ma famille, je dessine ce qui se passe. Et j’ai souvent sur moi mon appareil photo. Les images que je prends sont aussi des modèles. Les dernières ont été prises quelque part entre l’Alsace et la Suisse. Je me suis arrêtée chaque fois que je trouvais un site beau. Et j’aime aussi dessiner d’autres choses comme Totoro, le personnage du film d’animation de Hayao Miyazaki !
Crédits
Un article de : Camille PonsCrédits photos : Samuel Carnovali