Côté cour – La bosse des maths
Frédéric Holweck est mathématicien. Et si cette idée ancienne qui dit « les mathématiciens seraient prédisposés pour la musique quand les musiciens le seraient pour les mathématiques » n’est pas vérifiée scientifiquement, elle l’est au moins pour lui. Quand l’enseignant-chercheur laisse de côté cours et travaux de recherche sur l’informatique quantique, il joue avec sa vielle à roue, un instrument de musique populaire dont les cordes sont frottées par une roue en bois par le biais d’une manivelle.
Si Frédéric Holweck détient son doctorat depuis 2004, sa première partie de carrière a surtout été consacrée à l’enseignement. Ce n’est que depuis 2011 qu’il s’est à nouveau plongé dans un travail de recherche en intégrant le laboratoire IRTES-M3M1. Son domaine ? Les mathématiques et l’informatique quantiques. « Une synthèse de deux révolutions du 20e siècle : l’informatique et la mécanique quantique », explique le chercheur. « Et qui ont fusionné dans les années 2000, rapprochant ainsi mathématiciens, physiciens et informaticiens. L’idée ? Utiliser ce qui se passe à l’échelle des atomes pour faire des calculs. » Mais qui pourrait servir à quoi ? À créer par exemple des machines qui feraient des calculs en s’appuyant sur les propriétés des atomes et auraient des performances incroyables…
Explication : un ordinateur classique calcule en manipulant des bits. Chaque bit porte soit un 1 soit un 0 alors qu’en informatique quantique on travaille avec des qubits qui peuvent être à la fois 0 ou 1. En utilisant donc des propriétés similaires aux particules « qui peuvent être, du point de vue du spin2 par exemple, à la fois orientées vers le haut et vers le bas et, ou à plusieurs endroits à la fois, un calculateur pourrait par exemple casser des codes que l’on utilise pour crypter des informations en quelques secondes alors qu’il faudrait des milliers d’années à un ordinateur classique pour le faire ! », précise Frédéric Holweck. Si ces travaux sont pour l’instant très abstraits, les applications qui pourraient un jour en découler, comme les enjeux – en termes de défense et de sécurité notamment – semblent de leur côté très concrets.
Du Sud au Nord et de la mécanique à l’informatique quantique
Sa thèse, passée à l’université Paul Sabatier à Toulouse, là où il a fait ses études, portait déjà sur domaines très abstraits de la géométrie algébrique3. Ce n’est que plus tard en 2011 qu’il s’est « rendu compte que cette géométrie pouvait s’appliquer pour décrire ce qui se passait au niveau de la théorie de l’informatique quantique », explique l’enseignant-chercheur. Actuellement celui-ci planche sur plusieurs types de travaux : d’un côté des travaux très abstraits qui consistent à comprendre cette nouvelle façon de coder l’information, de l’autre des recherches plus concrètes qui consistent à étudier des algorithmes quantiques pour les améliorer ou en développer d’autres.
Dans l’enseignement, il y a les notions très importantes de transmission et de partage, d’interactions, de retours, comme dans la recherche, et que je retrouve d’ailleurs dans la musique, mon autre passion »
Une activité de recherche qu’il a retrouvée avec grand plaisir, même si l’enseignement, qu’il a débuté en tant que professeur agrégé en Midi-Pyrénées4, à Cahors dans le Lot, puis à Decazeville dans l’Aveyron, avant d’être détaché à l’UTBM, occupe depuis toujours une place importante pour lui. « La recherche me manquait énormément. C’est assez extraordinaire de pouvoir passer du temps à réfléchir », confie le chercheur qui aimait déjà, dès l’université, aller à la BU pour résoudre des « casse-têtes » mathématiques. « Et je travaille sur des thèmes originaux qui n’auraient pu être développés si le directeur d’IRTES-M3M de l’époque, après m’avoir accueilli pour travailler sur des problèmes de mécanique non linéaire, ne m’avait pas encouragé à travailler sur mes propres thématiques. »
Transmission et partage communs à l’enseignement, la recherche et la musique
Thématiques originales qui expliquent qu’il collabore également avec le FEMTO-ST5 et des laboratoires extérieurs, notamment le LITIS6 de l’université de Rouen et l’institut d’électronique et d’informatique Gaspard-Monge de l’université Paris-Est Marne-la-Vallée, ainsi qu’avec des chercheurs de l’université de technologie et d’économie de Budapest et de l’Académie slovaque des sciences. Ouverture à l’international qu’il aimerait d’ailleurs élargir en partant à l’étranger, pourquoi pas en tant que professeur invité, comme il l’avait déjà fait durant sa thèse, effectuée pour partie à Atlanta, aux États-Unis. Pour « retrouver le goût de travailler avec des gens d’une autre culture, un autre état d’esprit, une autre façon d’appréhender les mathématiques… », explique le chercheur.
L’activité de recherche a aussi un autre intérêt pour lui, au-delà de le faire travailler « sur des choses qu'[il] aime » : « il est plus facile de dire aux étudiants qu’il est important de faire des maths si dans notre quotidien on les utilise aussi », remarque-t-il. « Cela a du sens. » Et montre aussi le lien indispensable entre chacune de ces activités. Lien qu’il a lui-même autant pour l’une que pour l’autre, puisqu’il reste très attaché à son activité d’enseignement qu’il dispense aux étudiants de tronc commun et des branches Informatique et Génie mécanique de l’UTBM. « Dans l’enseignement, il y a les notions très importantes de transmission et de partage, d’interactions, de retours, comme dans la recherche, et que je retrouve d’ailleurs dans la musique, mon autre passion », poursuit Frédéric Holweck. « Et de la même manière que je tiens au couple enseignement-recherche, je suis très attaché dans la musique au couple cours7-concert, moments où l’on partage également ! »
1- Institut de recherche sur les transports, l’énergie et la société – Mécatronique, méthodes, modèles et métiers
2- En physique des particules, le spin définit le moment magnétique d’une particule c’est-à-dire la façon dont la particule se comporte et s’oriente, comme « un petit aimant », dans un champ magnétique
3- Sur la dualité projective, la théorie des singularités et les espaces homogènes
4- Devenue Occitanie
5- Franche-Comté Électronique, mécanique, thermique et optique – Sciences et technologies
6- Laboratoire d’informatique, de traitement de l’information et des systèmes
7- Il enseigne la vielle à roue au conservatoire Henri Dutilleux à Belfort
Côté jardin – La corde au cœur
Des passions ?
Jouer de la vielle à roue, pour laquelle j’ai eu le coup de foudre à l’occasion des Rencontres internationales de luthiers et de maîtres-sonneurs qui était organisées à Saint-Chartier, dans l’Indre1. Et des steel drums2 que j’ai découverts lors d’une rencontre en 2003 dans le Lot, à Figeac, avec un musicien qui en jouait et en fabriquait. Dans ces deux instruments, on trouve une constante, la rythmique et un rapport à la danse très important puisqu’on s’en sert pour jouer des musiques populaires. Pour moi, le rythme est premier dans la musique, bien avant la mélodie et l’harmonie. Ce qui me plaît, c’est le rapport au mouvement, à la danse.
Comment se traduit cette passion ?
J’ai commencé la vielle lorsque j’étais au collège, à 14 ans, dans l’Hérault où je suis né, après avoir acheté ma première vielle d’occasion dans la foulée du festival où j’ai découvert cet instrument qui me fascine. J’ai commencé avec un copain puis tout seul. Je ne lis pas la musique, je mémorise les morceaux à l’oreille et les reproduit. Et j’en crée aussi. Je joue avec un groupe et ce qui est intéressant, ce n’est pas de composer individuellement, c’est ce que l’on fait ensemble. C’est d’ailleurs quelque chose que je ne retrouve pas dans l’activité de recherche où l’on est seul 90 % de notre temps : la scène et la solidarité entre nous. Car la musique n’est pas écrite, on doit s’écouter, se regarder… Tout le plaisir est dans ce jeu collectif. Je donne des cours au conservatoire Henri Dutilleux de Belfort.
Pour moi, le rythme est premier dans la musique, bien avant la mélodie et l’harmonie. Ce qui me plaît, c’est le rapport au mouvement, à la danse. »
Quelle place a-t-elle dans votre vie ?
Je ne pourrais pas me passer de la musique ! D’ailleurs, j’ai toujours été dans des groupes de musique. Actuellement je joue dans un groupe de 5 musiciens, Chicheface3, qui se produit 6 ou 7 fois par an en concerts ou bals folk, et un ensemble, Sacs Manivelles et Soufflets, qui regroupe les trois classes du département musiques traditionnelles du conservatoire, qui jouent de la vielle, de la cornemuse et de l’accordéon. Avec eux, je me produis environ 4 à 5 fois par an, en concert et pour des animations de rue. Avec Chicheface j’ai eu la chance cette année de partir en Palestine au mois d’avril pour monter un concert avec les musiciens palestiniens de Maqamat Al Quds dans le cadre de la coopération entre le conservatoire Edward Said de Jérusalem et le conservatoire de Belfort. On a joué ce concert mêlant musiques traditionnelles arabes et européennes à Jérusalem et également au FIMU en mai lorsque les musiciens palestiniens sont venus en France. Humainement et musicalement ce fut une très belle rencontre pour moi. C’est une chance de pouvoir vivre ce genre de rencontres et la musique permet cela.
D’autres centres d’intérêt musicaux ?
J’ai beaucoup écouté de hard-rock à l’adolescence et j’écoute encore pas mal de rock. Ce qui n’est pas un paradoxe avec l’amour de la vielle utilisée surtout pour de la musique traditionnelle, car c’est pour moi le même état d’esprit : la façon de jouer, le lien à la danse, la spontanéité que l’on trouve en jouant de la vielle, je la trouve aussi dans le rock.
1- Le festival, qui est axé sur les musiques et danses traditionnelles en Europe, a été renommé Le Son continu en 2014
2- Tambours métalliques conçus à partir de bidons
3- https://fr-fr.facebook.com/chicheface/
Crédits
Un article de : Camille PonsCrédits photos : Samuel Carnovali