Côté cour – Le plaisir du concret
Comment faire pour qu’un objet qui est bien là ne se voie pas ? Ou qu’il n’ait pas la même dimension avant l’entrée dans un corps et après y avoir été placé ? Pas question d’effets spéciaux. Noëlie Di Cesare est de ces chercheurs qui planchent sur le développement de métamatériaux, de nouveaux matériaux dotés de propriétés extraordinaires qui n’existent pas dans la nature. Un travail très concret qu’elle aime bien contrebalancer dès qu’elle a du temps libre, en affichant un penchant pour l’art et l’abstrait.
Saviez-vous que des chercheurs planchaient depuis plusieurs années sur la conception d’une cape d’invisibilité ? Non, vous ne rêvez pas, et non, vous n’êtes pas en train de lire le premier tome de la série Harry Potter. Il s’agit d’un véritable travail scientifique, et qui peut avoir des applications bien concrètes, notamment dans le domaine de la défense. Noëlie Di Cesare s’est penchée sur le sujet durant les six premiers mois de sa thèse, thèse qu’elle prépare depuis 2013 au sein du labo IRTES-M3M1 à l’UTBM.
Mais concevoir une cape d’invisibilité, ça consiste en quoi ? « Il s’agit de créer un nouveau matériau qui dévie le champ électromagnétique qui l’impacte », explique la chercheuse. En l’occurrence, dans ce cas précis, les ondes électromagnétiques lumineuses. Le « bouclier » ainsi créé permettrait à la lumière de « couler » le long de l’objet, à l’instar de l’eau d’une rivière qui épouse les formes autour d’un rocher et reprend ensuite son chemin en aval. Non atteint par la lumière, l’objet pourrait donc se soustraire à la vue.
Ce type de matériau rentre dans la catégorie des métamatériaux, de nouveaux matériaux composites artificiels créés de toute pièce par l’Homme, et qui présentent des propriétés, et pas seulement dans le champ électromagnétique, que l’on ne retrouve pas dans la nature. Si cette application n’est pas encore totalement au point, d’autres ont déjà vu le jour, à l’instar de boucliers déjà testés sur des sous-marins pour dévier des ondes sonores et rendre ces derniers invisibles au sonar acoustique.
Travailler sur l’optimisation des structures : oui, mais avec Matthieu Domaszewski
Ces perspectives, fascinantes, ne s’arrêtent pas à cela puisque l’on peut aussi, entre autres, donner à ces matériaux des propriétés comme celle de se plier à l’extrême. Et quand on écoute Noëlie parler, on comprend aisément pourquoi elle a choisi de faire ses recherches dans ce domaine. « Avec les méthodes d’optimisation [méthodes mathématiques qui permettent de créer ces métamatériaux, NDLR], il est possible de tout imaginer », se réjouit la doctorante. « Un bâtiment pliable ? Ça n’existe pas, mais pourquoi pas ! »
Ce travail, elle l’a aussi choisi pour un enseignant-chercheur, Matthieu Domaszewski, le responsable de l’équipe MOS (Modélisation et optimisation des structures), devenu son directeur de thèse. « C’est l’homme, rencontré en dernière année de cycle d’ingénieur, qui m’a décidée », confie la jeune femme de 26 ans. « Parce que son domaine, l’optimisation des structures, me passionne, et parce que je pensais qu’on pouvait faire une bonne équipe ! »
Mettre au point de nouvelles méthodes pour créer de nouveaux métamatériaux
Aujourd’hui la chercheuse n’en est pas encore aux applications mais a positionné son travail en amont, sur l’élaboration de nouvelles méthodes d’optimisation métaheuristiques2 qui peuvent permettre la création de ces métamatériaux. Et ce, dans le domaine mécanique, sa spécialité depuis 2008, date de son entrée en DUT Génie mécanique et productique à Lyon I. Spécialité qu’elle a ensuite approfondie durant son cursus d’ingénieur à l’UTBM, en optant pour la filière génie mécanique et conception, spécialité modélisation numérique et mathématique des problèmes mécaniques.
« Ces méthodes vont servir à trouver une solution optimale à un problème d’optimisation mathématique. N’importe lequel », explique la chercheuse. « De la même manière que certaines servent déjà à minimiser la perméabilité électromagnétique et la permittivité d’un matériau, comme c’est le cas pour le développement de la cape d’invisibilité électromagnétique fréquentielle. Les méthodes qui existent déjà sont globalement toutes inspirées du fonctionnement du vivant. À l’instar de la méthode PSO (Particule Swarm Optimization) qui s’inspire de la manière dont les groupes d’oiseaux et les bancs de poissons se déplacent. Car un banc présente une intelligence globale d’essaim alors que chacun d’entre eux pris séparément possède des capacités limitées. »
Pourquoi pas un ressort « dépliable » pour renforcer les artères coronaires ?
C’est sur cette méthode que Noëlie aimerait d’ailleurs plancher plus particulièrement. « J’aimerais adapter cette méthode en utilisant des concepts informatiques, notamment l’algorithme PageRank3 », poursuit-elle. « Ce type de travail m’oblige d’ailleurs à me pencher autant sur des articles d’informatique, que de médecine, de psychologie et de science du vivant, et à m’intéresser à de très nombreux domaines de recherche pour faire des liens et développer de nouvelles méthodes. Et c’est ça aussi qui est intéressant ! »
Ce travail l’amène aussi à échanger avec des chercheurs d’autres laboratoires. Elle a ainsi rejoint, en février dernier, Georges Fadel, spécialisé aussi dans l’optimisation des structures, à l’université de Clemson en Caroline du Sud. Celui-ci s’est illustré en concevant, pour le robot Curiosity qui avait été envoyé sur Mars en 2012, des roues métalliques et non pneumatiques qui ne s’usent que très peu, alors que celles avec lesquelles le robot de la NASA avait entamé sa mission s’étaient fortement endommagées en quelques mois à peine.
La doctorante imagine, elle aussi,développer ses « propres » applications. Notamment une dans le domaine médical : la conception d’un ressort extrêmement miniaturisé afin qu’il puisse rentrer facilement dans une artère coronaire et s’y déplier ensuite, ressort qui pourrait remplacer les actuels stents4, prothèses médicales qui restent encore « très compliquées à mettre en place », remarque la doctorante. Une idée à laquelle elle espère « donner vie » dès qu’elle aura passé son doctorat, d’ici un an et demi, et trouvé un poste de maître de conférences, de préférence vers Valence, ville où elle a grandi.
Beaucoup de filles s’imaginent à tort que faire de la mécanique, c’est travailler sur un moteur et taper avec un marteau ! »
Lauréate du Prix de la vocation scientifique et technique
En attendant, Noëlie ne manque pas d’activités complémentaires, en plus de cours qu’elle donne également aux étudiants de l’UTBM. Elle a notamment contribué à l’organisation d’un congrès « Docteurs / entreprises », à Belfort en décembre 2014, qui visait à « renforcer les rencontres et donc les synergies entres docteurs et entreprises ». Et y a gagné deux prix : celui de l’excellence scientifique suite à la présentation de sa thèse en 5 minutes, et celui du coup de cœur du public, et ce, parmi une quinzaine d’autres doctorants. De bons points « pour augmenter [s]es chances de trouver un poste de maître de conférences », souligne-t-elle, tout comme son implication depuis septembre 2014 au sein de l’association des doctorants et docteurs de l’UTBM, Docéo, qui organise chaque année IngéDoc.
Et elle ne compte pas s’arrêter là. « J’ai bien l’intention de participer en 2016 aux prix pour les Femmes et la Science de la fondation L’Oréal, qui permettent de financer des projets de jeunes chercheuses doctorantes ou post-doctorantes », assure-t-elle. Sa passion de la science lui avait déjà valu d’être lauréate en 2007 du Prix de la vocation scientifique et technique. Un domaine pourtant « totalement nouveau » dans sa famille lorsqu’elle s’y est engagée. « Je suis la seule scientifique dans la famille. Une famille populaire et je suis d’ailleurs très fière de mes origines ! »
Promouvoir la science auprès des filles en quartier populaire
Ce sont d’ailleurs ses origines qui l’ont motivée à s’impliquer, à titre bénévole et individuel, dans un projet de promotion de la culture scientifique et technique auprès des filles, au collège Lou Blazer de Montbéliard. « Il s’agira de fabriquer, avec des élèves de 3e, une voiture télécommandée à base de Légos© mais aussi de faire deux présentations auprès de filles et de parents pour valoriser la science et la technologie. Car la plupart partent du principe que ce sera trop dur pour elles et s’imaginent à tort que faire de la mécanique, c’est travailler sur un moteur et taper avec un marteau ! »
Ce désir de transmission est d’autant plus fort qu’il se fera dans un quartier qui ressemble à celui dans lequel elle a grandi. « Je suis très fière d’être l’exception qui montre qu’en France, si on travaille, si on se donne les moyens, on peut réussir. J’ai fait toutes mes études en étant boursière et plus tard je serai contente de payer des impôts pour participer au financement des études d’autres étudiants. » Comme elle est contente aussi de travailler dans le domaine de la mécanique : « j’ai toujours réparé le vélo de mon frère, je n’aimais pas les poupées, j’avais des mécanos. Ben ouais, c’est TROP cool la mécanique ! »
Côté jardin – L’amour de l’abstrait
La musique et la peinture sont vos deux grandes passions…
Mon grand-père était peintre, mon arrière grand-père était prof de hautbois. Je suis issue d’une famille d’artistes et de manière générale, chez nous, tout le monde fait de la musique ! J’ai commencé la flûte au conservatoire à l’âge de 4 ans. J’ai arrêté le conservatoire une fois obtenu mon diplôme de fin d’études à Valence, lorsque j’étais en première, pour pouvoir me concentrer sur mes études. J’ai aussi joué durant 8 ans dans un groupe de musique de chambre. Et j’ai commencé le piano à 21 ans. Je travaille beaucoup pour pouvoir un jour jouer du Chopin et du Beethoven. J’aime apprendre. J’estime qu’une journée durant laquelle je n’ai rien appris est une journée perdue !
Artiste aussi ?
Non ! J’ai envie de prendre du temps pour moi. J’ai aussi commencé à peindre il y a trois ans mais ce que j’aime, c’est le fait, l’action de peindre. Parce qu’on est obligé d’arrêter de réfléchir. Et on peut vraiment se détendre. Cela me fait du bien de contrebalancer le boulot. Je n’ai pas la pression des résultats sur la peinture, je n’ai pas à les vendre. J’y passe du temps pour me faire plaisir. C’est une petite fille d’origine russe et habitant l’Australie, Aelita André, qui m’a inspirée. Elle a commencé ses tableaux avant l’âge d’un an et elle a exposé dans les plus grandes villes du monde5 ! Elle n’a pas appris la technique, elle utilise son âme d’enfant, elle prend la peinture et la jette. C’est génial !
J’aime apprendre. J’estime qu’une journée durant laquelle je n’ai rien appris est une journée perdue ! »
Vous aussi, vous la jetez… Pour retrouver aussi votre âme d’enfant ?
Oui ! Je retrouve mon âme d’enfant car je ne m’intéresse qu’à ce qui est joli. À ce qui va me rappeler un souvenir, une émotion. Ce qui est tout le contraire de ce que l’on me demande au boulot : si c’est juste, si les calculs sont corrects…
Vous avez d’autres passions ?
J’aime l’écriture biographique et j’ai commencé mon premier journal vers l’âge de 6 ans. Je dois en avoir 25 environ aujourd’hui, en plus de ceux que j’écris sur un site. C’est une sorte d’exutoire : on sort des émotions accumulées toute la journée. C’est une dimension que j’aime aussi dans les livres. On apprend beaucoup plus dans les journaux intimes que dans les livres d’histoire sur la véritable vie des gens. Enfin, je fais du théâtre d’improvisation depuis septembre avec la troupe « En compagnie de LeRoy » à Belfort. J’en fais pour les mêmes raisons que la peinture. Pour être un bon improvisateur, il est nécessaire d’arrêter son cerveau, d’arrêter de réfléchir ! Du coup, je me détends et cela me permet de retrouver certaines émotions perdues. Tout cela est à contre-pied de ce que je fais au travail. Et j’ai besoin de déconnecter du travail tout en apprenant !
1- Mécatronique – Méthodes, Modèles et Métiers
2- Algorithmes utilisant un haut niveau d’abstraction leur permettant d’être adaptés à une large gamme de problèmes différents
3- Algorithme d’analyse des liens concourant au système de classement des pages web utilisé par le moteur de recherche Google
4- Ce ressort est une prothèse, le plus souvent métallique, qui permet de maintenir une artère coronaire ouverte et permet de rétablir une bonne circulation sanguine
5- Elle a été reconnue par la profession à l’âge de 3 ans. Elle peint à l’acrylique dans un style abstrait
Crédits
Un article de : Camille Pons
Crédits photos : Daniel Nowak