Professeur invité de l’IRTES, Sebastian Rodriguez est venu poursuivre le rapprochement opéré entre l’UTBM et l’université de technologie nationale argentine, dont il dépend. Il est aussi venu finaliser un langage de programmation de systèmes multi-agents, qui devrait simplifier la réalisation de simulations auxquels ces codages servent de support.
Ce chercheur informaticien n’a pas « atterri » là par hasard. Son séjour de six mois ici, au laboratoire IRTES-SET, achevé fin février, avait pour premier objectif de renforcer les collaborations entamées depuis huit ans entre l’UTBM et l’Université de technologie nationale argentine. Ce n’était pas la première fois que le chercheur posait ses bagages à l’UTBM. Il y a d’abord décroché ses diplômes de master en 2002 et de doctorat en 2005. La plupart de ses visites ont ensuite été organisées au titre de ses fonctions de directeur du groupe de recherche sur les technologies informatiques avancées (GITIA) de la Faculté régionale de Tucumán, l’une des vingt-neuf facultés de son université.
Pour ce chercheur, spécialiste de l’intelligence artificielle et de la modélisation des systèmes multi-agents (des systèmes logiciels que l’on conçoit quand la solution ou l’environnement à simuler ne sont pas ou partiellement connus ou lorsque la dynamique et les interactions des entités le composant ne sont pas maîtrisées), cela a surtout été l’occasion de poursuivre les travaux pour réaliser des simulations de systèmes complexes : la programmation orientée agent.
Ce travail s’inscrivait dans la continuité de son premier séjour effectué en tant que professeur invité, en 2009. Durant 4 mois, il avait collaboré au projet de plate-forme de développement de systèmes multi-agents, JANUS. Plateforme dédiée au déploiement de systèmes multi-agents dont l’une des vocations était de faire émerger une véritable méthodologie globale pouvant prendre le relais de la programmation orientée objet, la plus communément utilisée. Car si les deux approches servent indifféremment de support à la simulation, celui sur lequel travaille les chercheurs de l’IRTES en collaboration avec l’université argentine, la simplifie encore davantage et offre des perspectives que ne permet pas la programmation orientée objet.
Vers des simulations de systèmes plus complexes
Pourquoi ? La programmation orientée objet, mise au point dans les années 70, avait déjà permis de simplifier les simulations en proposant des « objets », c’est-à-dire des images graphiques déjà préprogrammées en lieu et place de lignes de codes, et représentant un concept, une idée ou une entité du monde physique. Objets que l’on pouvait donc assembler pour effectuer une simulation.
Le langage de programmation orienté agent va plus loin. « On passe à un niveau d’abstraction supérieur, explique le directeur de l’IRTES, Ghislain Montavon, car les agents sont dotés de fonctions plus évoluées qui leur permettent de communiquer avec les autres agents avec lesquels il vont être liés, de percevoir leurs états et de réagir par rapport à ces derniers. Une petite forme d’intelligence ! » Ce langage permet surtout de « simuler des situations pour lesquelles on ne connaît pas la solution physique ou pour lesquelles il n’y a pas de solution unique », notamment parce que les agents, contrairement aux objets qui étaient déjà en interaction, intègrent des dimensions plus « sociales » et « mentales » liées aux fonctions qu’ils représentent, telles que des habiletés, des obligations ou encore la capacité à prendre des décisions. Ils permettent donc de s’attaquer à des simulations de systèmes plus complexes encore.
Une approche donc « plus appropriée, parce qu’elle permet de prendre en compte des concepts que l’on ne peut pas forcément traduire dans le langage orienté objet », résume de son côté Sebastian Rodriguez. Il peut aussi proposer plusieurs solutions, selon les conditions et les paramètres à prendre en compte, le langage orienté objet étant de son côté « adapté à des systèmes déterminés dont on connaît exactement le comportement », précise le directeur de l’IRTES.
De la simulation d’un réseau de distribution d’électricité à l’évacuation du site des Eurockéennes
L’avancée réalisée n’est pas négligeable, même si ce n’est pas la première dans le domaine des systèmes multi-agents et que des travaux ont déjà donné lieu à des publications co-signées avec les chercheurs argentins. Car l’IRTES réalise déjà de nombreuses simulations en s’appuyant sur les systèmes multi-agents.
Le laboratoire s’en est ainsi servi pour simuler des réseaux de distribution d’électricité intelligents dans lesquels sont optimisés tant la production, que la distribution et la consommation. Un travail qui a toute sa valeur, précise Ghislain Montavon, dans la mesure où « le réseau est alimenté par une multiplicité de sources d’énergie, certaines permanentes comme les centrales nucléaires, certaines intermittentes, comme les systèmes éoliens ou photovoltaïques. Ces systèmes multi-agents ont aussi été utilisés pour simuler une circulation optimale de véhicules en peloton (platooning), c’est-à-dire en améliorant la sécurité, l’efficacité et les temps de voyage, tout en limitant la formation de bouchons et donc la pollution. Les chercheurs de l’IRTES ont également travaillé, avec Territoires de musique, sur la simulation d’une évacuation du site des Eurockéennes. Simulation qui devait permettre « d’étudier plusieurs scénarios d’évacuation du site en fonction de la conformation réelle du terrain », précise encore Ghislain Montavon. « L’intelligence » des agents constituent, dans tous ces cas, un appui important puisqu’ils permettent de prédire au mieux les comportements, alors même que ces situations mettent en jeu des foules d’objets ou de personnes. La version finalisée durant ces six derniers mois « commence » de son côté « à être stable », précise encore Sebastian Rodriguez. » Elle devrait permettre d’effectuer les premières simulations prochainement et donnera lieu à des publications dans des revues scientifiques « . Pour autant, la mission du chercheur ne s’arrêtait pas au périmètre de la recherche, même si sa présence a aussi permis de poursuivre la réflexion sur le projet de création d’un laboratoire de recherche binationale, regroupant des chercheurs de l’IRTES et du GITIA. Regroupement qui permettrait d’avoir une taille suffisante pour développer des projets en lien avec l’énergie, et de candidater à des appels d’offres européens ou internationaux. Sa visite devait aussi permettre de jeter les bases d’un modèle d’échanges d’étudiants, en doctorat, mais aussi en formation d’ingénieur. Ces derniers se verront proposer d’effectuer une partie de leur cursus dans l’un ou l’autre établissement. Un article de Camille PonsVers un regroupement de chercheurs et des échanges d’étudiants
Qui se ressemble s'assemble...
Ce sont les disciplines et les caractéristiques communes des deux universités qui ont assis, avec le temps, la collaboration entre l’UTBM et l’université de technologie nationale (Universidad Tecnológica Nacional, UTN). Fondée en 1948, cette dernière propose des cursus en lien avec de très nombreux génies, du génie électrique au génie mécanique, en passant par l’automatisme et l’informatique. Ces deux derniers domaines disciplinaires sont notamment développés sur le site de Tucumán, ce qui explique les relations privilégiées développées avec les chercheurs de l’IRTES spécialisés dans les systèmes multi-agents.
L’université argentine accueille 75 000 élèves-ingénieurs au sein de ces vingt-neuf implantations régionales. C’est la seule université argentine qui forme à l’ingénierie et 50 % des ingénieurs argentins en activité en sont issus. Outre la formation, elle assure des missions de recherche au sein d’instituts.
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Crédits photos : Voxélia / Daniel Nowak