Portrait – Côté cour
Elle a 30 ans. Ingénieure mécanique, Annabelle Boudinot navigue dans le secteur naval depuis ses études réalisées entre 2000 et 2005 à l’UTBM. Les étudiants et les personnels la connaissent tous. Parce qu’elle a traversé l’Atlantique en solitaire en octobre dernier, en courant sa première Mini-Transat 6.50 sur un bateau très particulier puisqu’il est composé pour partie de fibres végétales.
Quand j’étais petite, quand on me demandait ce que je ferai plus tard, je répondais Isabelle Autissier !
Ça, c’est fait… Ou presque. Parce que, pour ceux qui ne le savent pas encore, ou qui ont raté sa venue à l’UTBM le 27 mars dernier, Annabelle Boudinot s’est illustrée il y a quelques mois en décrochant sur la Mini-Transat 2013 la 9e place dans la catégorie « prototype » et la 13e parmi quelque 80 concurrents en lice. En traversant l’Atlantique en 24 jours, 19h47 minutes et 3 secondes très exactement.
C’est l’une des courses phares pour les voiliers. Et Annabelle ne s’est pas contentée de la courir, elle a géré l’intégralité du projet, de la recherche de fonds à la navigation, en passant par le choix du bateau, sa « refonte » et la prise en charge du chantier avant de le mettre à la flotte. Car, qu’on ne s’y trompe pas, cette aventure est un véritable projet professionnel. Et qui nécessite « un véritable temps plein comme chef de projet ! », comme elle le souligne elle-même. Projet auquel elle a ajouté sa propre « touche » en testant, sur sa toute petite coque de 6m50, des bio-composites, des fibres de lin. Unique sur la Transat.
UTBM, le choix du large aussi
C’est d’ailleurs le nouveau fer de lance de cette ingénieure qui a fait toute sa carrière dans l’architecture navale. Un choix pris dès le départ et qui remonte quasiment à un âge où l’on se fait bercer sur « Maman les p’tits bateaux… ». Elle est initiée à lanavigation dès 7 ans. À ce moment là, ses parents décident de passer chaque année leurs vacances d’été à naviguer autour de la Bretagne. « On faisait d’abord des sauts de puce de port en port, puis au bout de 2 ou 3 ans nous sommes allés plus loin, jusqu’en Angleterre », se souvient Annabelle. Résultat, « dès 10 ans, je voulais travailler dans le secteur naval ! Marin, pourquoi pas ? Elle sourit. Mais mes parents, ingénieurs aussi, m’ont aiguillé vers ce métier qui allait me donner aussi l’opportunité de concevoir des bateaux, donc faire le tour de la question ! ». L’UTBM est aussi le choix du « large ».
« Je voulais devenir ingénieure navale. Pour y arriver, il faut une formation d’architecte naval ou d’ingénieur. La formation d’ingénieur était un choix raisonnable. Elle me donnait l’opportunité de changer de métier si ça ne marchait pas. »
L’université de technologie n’a pas non plus été choisie par hasard. Celle-ci lui offre
« un cursus avec prépa intégrée, un enseignement à la carte et une ouverture aux sciences humaines et sociales »
qui lui permettra d’assouvir sa « curiosité » en naviguant aussi de la philo à l’environnement, en passant par le chinois et le design. « Non formatée »…
Une carrière entraînée par les courants marins
Après avoir décroché son diplôme d’ingénieur, elle se laisse à nouveau guider par les courants marins. Qu’elle n’a pas quittés pour autant pendant ses études, puisqu’elle a effectué l’intégralité de ses stages dans
le domaine naval. Le lien entre ces différents employeurs ? La conception de voiliers, pour la course. Car la production ne l’intéresse pas. Ce qui la (trans)porte, ce sont « les défis technologiques et les projets innovants » et de partir « d’une feuille blanche ».
Ces différentes étapes pros lui donnent surtout l’opportunité de travailler sur « des bateaux incroyables, les plus beaux du monde ! ». Chez Juan Kouyoumdjian, à Valence, elle effectue un refit* du Pyewacket, un maxi 386 de 100 pieds de long*, qui remporte la Transpacifique en juillet 2007. Chez HDS à Brest, où elle fait du calcul de structures composites, elle planche sur Oracle qui gagne la 33e Coupe de l’America en 2009, et sur le maxi Trimaran BP5 qui décroche le Trophée Jules Verne en janvier 2012. Et sur des bateaux du Vendée Globe. Comme chez Bean*, où son travail sur les jauges de bateaux l’amène à travailler sur des 60 pieds, les Imoca qui font également le Vendée Globe. « Jamais je n’aurais imaginé réussir à travailler sur ces projets. Regardez Oracle ou le bateau de la Banque Populaire : ils ont des voiles immenses, ils volent sur l’eau. C’est superbe ! »
Annabelle jette l’ancre un peu plus longtemps chez l’architecte naval Van Peteghem Lauriot-Prévost à Vannes. Mais c’est « l’envie de large, d’espace et de défi » qui l’amène à son propre projet, la Mini-Transat. Une expérience qu’elle veut renouveler tout en continuant de promouvoir les fibres de lin après ce premier test qui a prouvé que l’agro-composite résiste bien. Prochaine étape : Mini-Transat 2015.
* Rénovation et réaménagement de plusieurs éléments du bateau
* 30 mètres environ
Côté jardin : le large pour le défi et l’aventure
Votre passion, la voile ?
Oui mais pas seulement. J’aime la voile parce que ça a trait à la nature. J’aime aussi la randonnée, l’escalade, le voyage… Souvent, les gens qui aiment la mer aiment la montagne et le désert, car ce sont des environnements où la nature prime, avec des paysages extraordinaires et des présences humaines plus rares. Dans ces moments là, on réalise que c’est la Terre qui nous porte. Quand je suis sur l’océan, j’aime bien ce sentiment d’être une petite goutte d’eau.
Passion ancienne ?
Lorsque nous avons commencé à naviguer, mon frère et ma sœur n’avaient que 4 ans et 10 mois. Ma mère était très occupée, du coup je suis assez vite devenue le second de mon père à bord. Quand il a fallu traverser la Manche et naviguer de nuit, j’ai même fait le quart avec ma mère. J’ai aussi le souvenir d’une très forte sensation à un moment où je me suis retrouvée seule dehors : j’avais un peu peur mais en même temps je me sentais la reine du monde !
Voile ou bateau en général ?Voile ! Pour en faire, il faut des connaissances en physique, en mécanique, en météo, etc. Et ce ne sont pas du tout les mêmes sensations qu’avec un bateau à moteur où l’on se contente de démarrer et de tourner un volant !
Beaucoup de temps passé à assouvir ces passions ?
Durant mes premiers jobs, où j’alternais 10 mois et des périodes de chômage, le rythme me plaisait car je pouvais, entre deux, faire des courses, partir à l’étranger, à la rencontre des gens. J’aime les nouvelles expériences, bouger, partir à l’aventure. La vie que j’ai en ce moment me convient même si ce serait plus confortable d’être salariée !
Vous avez dû profiter des étangs de Brognard et du Malsaucy quand vous étiez à l’UTBM ? Pas vraiment ! J’aime la voile mais ce qui me fascine surtout, c’est la mer et l’horizon sans limite. Du coup je préférais aller me balader dans les Vosges. Les montagnes m’offraient plus d’horizon que les étangs (rires).
Un moment fort et émouvant durant la Transat ?Le plus fort, c’est l’humain. C’est une course en solitaire mais elle se partage. Parce qu’on a besoin de monde : pour faire le chantier, mettre le bateau à l’eau, sortir le mât… Je ne serais pas capable de faire la somme des coups de mains physiques, financiers et moraux que j’ai reçus, mais c’est énorme au final ! L’un de mes plus grands plaisirs, cela a été de voir l’engouement des gens qui m’ont suivie et le bonheur que ça leur a procuré.
Un moment fort et éprouvant durant la Transat ?
Le plus difficile comme le meilleur, c’est l’humain ! Pendant la traversée, il y a eu des moments où j’ai souffert de la solitude. Même physiquement. Il a fallu trouver des dérivatifs. Mes amis m’avaient préparé des lettres que j’ouvrais petit à petit. C’était assez émouvant car ils m’y disaient des choses très tendres. Y répondre était un moyen de compenser la solitude. Ils ont été une vraie ressource. Et cette course je l’ai faite aussi pour eux.
Crédits
Un article de Camille Pons
Crédits photos : Daniel Nowak
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